Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/469

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quoy nous ſortiſmes, & fuſmes chez Hermogene. Quand nous fuſmes dans la Chambre de Beleſis, nous luy demandaſmes, ce qui luy ſembloit de Cleodore ? Je ne veux pas vous le dire, repliqua t’il, car peut-eſtre ne me tiendriez vous plus conte du ſejour que je ſeray icy. Je ne m’eſtonne pas, repliquay-je, ſi vous eſtes ſatiſfait de cette belle Perſonne : puis qu’enfin elle vous a traité tout autrement qu’elle n’a accouſtumé de traiter ceux qui ne ſont pas de ſes Amis. Elle a pourtant la mine, adjouſta t’il, de me donner de fâcheuſes heures, ſi je ne puis m’empeſcher de l’aimer : car malgré ſa douceur, j’ay pourtant deſcouvert dans ſon ame je ne sçay quoy de fier & de ſuperbe, qui me fera bien de la peine. Elle à touteſfois quelque choſe de ſi attirant dans les yeux, pourſuivit il, que je ne sçay n je m’en pourray deffendre, quoy que j’en aye grande envie. Pour moy, dit Hermogene, je m en ſuis touſjours deffendu : car encore que Cleodore ſoit tres charmante, il y a beaucoup de choſes dans ſon humeur, qui ſont du contrepoiſon pour moy : & qui font que je ne ſuis pas expoſé à mourir jamais d’amour pour elle. Il n’en eſt pas ainſi de moy, dit Beleſis, & je crains bien que je ne me pleigne un jour eſtrangement du plaiſir que j’ay aujourd’huy à la connoiſtre.

Voila donc, Seigneur, quel progrés fit cette belle Fille dans le cœur de Beleſis : apres quoy je vay vous dire celuy que fit Beleſis dans le cœur de Cleodore. Mais pour vous faire voir comment les petites choſes faites à propos, font quelquefois aquerir une grande eſtime parmy les Dames ; il faut que vous sçachiez que Beleſis ayant sçeu qu’il y avoit aſſez d’amitié entre la Sœur d’Hermogene, nommée Praſille, & Cleodore, eut une civilité particuliere pour elle,