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Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/613

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voir jamais qui que ce ſoit, qu’un Eſclave que je mene : afin qu’apres ma mort il puiſſe vous raconter quelle aura eſté la conſtance de celuy que vous banniſſez comme un inconſtant. Je m’aſſure que s’il eſt fidelle, il tirera quelques larmes de vos beaux yeux : & que vous regretterez, peut-eſtre la mort de celuy dont vous aurez rendu la vie l’a plus malheureuſe du mondes.

BELESIS.


Lors que Cleodore reçeut cette Lettre, elle avoit l’eſprit eſtrangement inquieté : car ſe voyant à la veille d’eſpouſer Hermogene, le plaiſir qu’elle avoit trouvé a ſe vanger de Beleſis, ſe changea en une douleur tres ſenſible. Ce n’eſt pas qu’elle n’eſtimaſt extrémement Hermogene : mais c’eſt que ſon ame ne pouvant eſtre capable de rien aimer que Beleſis, elle deſcouvrit que malgré toute ſa colere & tout ſon reſſentiment, ſon cœur n’en eſtoit pas dégagé. Elle reçeut donc ſa Lettre en rougiſſant : elle l’ouvrit avec un battement de cœur eſtrange : elle commença de la lire en ſoupirant : & acheva de la voir en reſpandant quelques larmes. Enfin Seigneur, que vous diray-je ? Cleodore s’aperçeut qu’elle n’avoit ſans doute jamais voulu eſpouſer Hermogene, & qu’elle avoit touſjours aimé Beleſis. Cependant toutes choſes eſtoient preparées pour ſon Mariage : & elle ſe voyoit dans l’impoſſibilité de pouvoir rappeller Beleſis, quand meſme ſa fierté l’auroit pû ſouffrir. Ne sçachant donc que faire, elle voulut du moins differer à prendre une reſolution abſoluë : & pour cét effet, elle feignit de ſe trouver mal & ſe mit au lict. Hermogene aprenant