Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/638

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Prince avoit paſſé la Riviere d’Helle, l’eſpouvante ſe mit dans le cœur de la plus part des Soldats : & la nuit ſuivante les Gardes avancées de Creſus, ne ceſſerent de donner de fauſſes allarmes : car la crainte qu’ils avoient, leur faiſoit croire qu’ils voyoient ce qu’ils ne voyoient point du tout : de ſorte qu’il falloit que toutes les Troupes de Creſus paſſaſſent la nuit ſous les armes. Creſus craignant donc que cette eſpouvante ne devinſt à la fin une de ces terreurs paniques qui ont quelqueſfois détruit ſans combatre les plus grandes Armées du monde, ſe reſolut de teſmoigner de la hardieſſe, afin d’en donner aux autres, & d’aller au devant de Cyrus : ſi bien que décampant dés le lendemain, il s’avança un peu au delà de Thybarra, en meſme temps que Cyrus venoit à luy : de ſorte que ces deux Armées camperent le ſoir à cinquante ſtades l’une de l’autre. Comme Cyrus ne vouloit pas eſtre ſur pris, il paſſa toute cette nuit là ſans dormir : & comme le Roy d’Aſſirie & Mazare vouloient du moins faire tout ce qu’ils pouvoient, ils furent teſmoins des ſoins qu’il avoit de pourvoir à toutes choſes, & veillerent auſſi bien que luy. Il fit viſiter les Chariots de guerre, qu’il avoit ſait armer de Faux à l’entour des eſſieux, pour voir ſi durant la marche du jour precedent, il ne s’y ſeroit rien gaſté : & il n’oublia rien enfin de tout ce qu’il creut luy pouvoir ſervir à vaincre. Cependant ces trois illuſtres Rivaux paſſerent le reſte de la nuit dans une meſme Tente, avec des ſentiments bien differents, quoy que Mandane fuſt l’objet de toutes leurs penſées : car Cyrus dans la certitude d’eſtre aimé, malgré toutes les menaces des Dieux, avoit quelques momens agreables au milieu de ſes ſouffrances : où au contraire le Roy d’Aſſirie, malgré le favorable