Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/76

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comme les autres, d’avoir part à la liberalité d’Abradate. & les Muſiciens en faveur deſquels Panthée ne ſe declara point, ne laiſſerent pas non plus d’avoir des preſens magnifiques. La Princeſſe ayant sçeu la choſe, luy demanda quelle difference il y avoit donc des vaincus aux Vainqueurs ? mais il luy reſpondit que l’or qui portoit ſon Image & qui avoit paſſé par ſes mains, eſtoit bien d’un autre prix que celuy qui n’avoit paſſé que par les ſiennes, & qui ne repreſentoit pas ſa beauté. Et puis Madame, adjouſta t’il, c’eſt un ſi grand malheur que de n’avoir pas voſtre aprobation, que j’ay creû qu’il faloit taſcher de donner quelque legere conſolation à ceux qui ne l ont pas obtenue.

Cependant Mexaris eſtoit au deſespoir, de voir la magnificence d’Abradate, & combien toutes les Dames luy donnoient de louanges : Perinthe dans le fonds de ſon cœur, n’en eſtoit pas moins affligé : car ayant borné tous ſes deſirs, à pouvoir faire en ſorte que Panthée n’aimaſt jamais rien, il avoit une douleur extréme, de voir qu’Abradate eſtoit ſi aimable, & entreprenoit ſi hautement de ſe faire aimer. Si bien que quelque violence qu’il ſe pûſt faire, il fut ſi melancolique tout ce jour là, que Doraliſe s’en aperçeut, & en fit meſme apercevoir la Princeſſe : qui luy en faiſant la guerre, le mit dans la neceſſite de luy reſpondre. Il luy dit donc, pour pretexter ſon chagrin, que la Muſique faiſoit toujours cét effet la en luy, ſans qu’il en peuſt dire la raiſon. pour moy, dit Doraliſe, il me ſemble que ce que vous dittes là eſt encore une marque aſſurée que vous n’eſtes pas ce que vous dittes eſtre car enfin les gens qui ont l’ame dure, ne ſont point ſensibles à la Muſique : & il faut aſſurément que vous aimiez, ou que vous ayez aimé, pour eſtre