Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, cinquième partie, 1654.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

elle, cependant cette vertu eſt aſſurément une de celles qui eſt la plus difficile à trouer, parmy ceux qui n’ont rien aimé : eſtant certain que l’amour inſpire plus la liberalité en un quart d’heure, que l’eſtude de la Philoſophie ne pourroit faire en dix ans.

Je ne m’eſtonne pas, dit Abradate, que vous qui croyez que l’amour enſeigne toutes choſes, penſiez ce que vous dittes : mais je voudrois vous ſuplier de me dire, pourquoy il ſe trouve tant de Dames accomplies qui n’ont jamais aimé ; & pourquoy il eſt plus neceſſaire que les honmes aiment pour eſtre honneſtes gens ? C’eſt Seigneur, repliqua t’elle, que le ſoin de plaire polit l’eſprit à tous les hommes, & que ce meſme ſoin ne ſied nullement bien aux Dames : qui doivent preſuposer que la Nature les a faites aſſez aimables, ſans qu’elles s’empreſſent pour cela. S’il ne faloit, reprit ce Prince, qu’avoir deſſein de plaire à qu’elqu’un, pour eſtre parfaitement honneſte homme, j’en connois un qui le ſeroit plus que perſonne ne l’a jamais eſté : & cependant je sçay bien qu’il ne l’eſt pas à ce point là. Abradate en diſant cela, regarda Panthée : qui rencontrant ſes yeux dans ceux de ce Prince, ne pût s’empecher de rougir : & de luy faire connoiſtre par là, qu’elle faiſoit l’aplication de ce qu’il venoit de dire, de la façon qu’il l’avoit deſiré. Le changement de ſon viſage ne fut pas ſeulement veû d’Abradate, il fut encore remarqué de Mexaris & de Perinthe : le premier en rougit de colere, & l’autre en paſlit de douleur : & cette petite choſe, quoy que de peu de conſideration, occupa ſi fort l’eſprit de ces quatre Perſonnes, que le reſte de la converſation ne fut point du tout ſuivy, & ne fut plus que de choſes deſtachées les unes des autres. Panthée avoit un ſensible dépit d’avoir rougy, parce qu’elle avoit