Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/104

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où il estoit seul avec Artamene ; il appella le Capitaine de ses Gardes, & luy commanda de le mener à sa Chambre ; & de luy en respondre sur peine de la vie. Ce Capitaine qui aimoit Artamene cherement, & qui sçavoit quelle avoit esté sa faveur ; demeura surpris de ce commandement : ne sçachant presque s’il y devoit obeïr. Et voyant une si prompte revolution, en la fortune d’un homme, qui un jour auparavant estoit le plus absolu de tout le Royaume ; & qui faisoit le destin des Princes & des Rois tel qu’il luy plaisoit ; il ne pouvoit s’empescher de faire voir son estonnement ; ny se determiner sur ce qu’il avoit à faire. Mais Artamene l’ayant remarqué, allons, luy dit il, allons (en luy tendant son espée ; ) & rendons mesme ce dernier service au Roy, d’aprendre à tous ses Subjets à obeïr de bonne grace, aux commandemens les plus rudes. En disant cela, il fit une grande & profonde reverence à Ciaxare : & suivit Andramias, avec aussi peu d’émotion, que s’il fust retourné libre à sa chambre, comme il en estoit sorti. Le Roy commanda en suitte, que l’on s’assurast d’Araspe ; & ses ordres furent suivis.

De dire ce que le malheureux Artamene pensa en cette occasion ; & combien le Roy des Medes eut de repugnance à faire ce qu’il fit, ce seroit une chose assez difficile. Le premier s’arrestoit quelquesfois autant à admirer la bizarrerie de ce dernier accident qu’à s’en pleindre : & le second se repentoit presque à tous les momens, de ce qu’il venoit de faire. Il n’estoit jamais un instant bien d’accord avec luy mesme : que feray-je, disoit il, de ce Criminel, qui m’a tant servi ; que j’ay tant aimé ; & qui possede le cœur de mes amis, & de mes ennemis tout ensemble ? De ce Criminel, dis-je,