Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/105

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que toute la Terre connoist avec estime ; & dont personne ne connoist pourtant la naissance ? Qui vit jamais, adjoustoit il, une chose plus surprenante, que celle qui m’arrive aujourd’huy ? Le moyen de s’imaginer qu’Artamene, par la valeur duquel j’ay remporté tant de victoires, & vaincu tant de Rois ; ait voulu ternir sa reputation par une perfidie ? Mais le moyen aussi de penser que ce Billet que j’ay dans les mains, ne puisse estre expliqué par luy, sans penser en mesme temps, que le crime qu’il a commis est si grand, que la confusion qu’il en a, ne luy laisse pas seulement assez de liberté d’esprit, pour inventer un pretexte à cette intelligence ? Non, non, poursuivit il, Artamene est criminel : & soit par amour, ou par ambition, ou par tous les deux ensemble ; il est coupable, & merite d’estre puni. La difficulté que j’y trouve, n’est qu’à sçavoir si l’aimant comme je l’aime, je pourray bien m’y resoudre : & si ce coupable n’est point assez puissant dans mon cœur, pour m’affliger plus de sa perte, qu’il ne s’en afflige luy mesme. Mais, reprenoit il tout d’un coup, la douleur que je sens pour la perte de Mandane, me sera un puissant preservatif, contre celle d’Artamene : estant à croire que mon ame se trouvant si sensible pour celle-là, ne se la trouvera pas tant pour l’autre. Essayons neantmoins toutes choses, adjoustoit il, pour fléchir cét esprit obstiné : & pour trouver matiere de luy pardonner, faisons encore ce que nous pourrons, pour luy faire confesser son crime. Mais pendant que Ciaxare raisonnoit de cette sorte en luy mesme ; Artamene de qui l’esprit amoureux, ne pouvoit se separer de sa Princesse, songeoit bien plus à son naufrage qu’à sa prison : & avoit bien plus d’aprehension de sa