Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/106

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perte, que de frayeur de la sienne. Fais ce que tu voudras, rigoureux Destin, s’écrioit il, tu ne sçaurois plus m affliger : & mon ame n’estant plus sensible que du costé de Mandane, te deffie de l’esbranler par tous les autres. Adjouste les suplices à la prison, je ne me pleindray point de ton injustice : & tant que j’auray lieu de craindre que ma Princesse ne soit dans le Tombeau ; s’il m’arrive de murmurer d’estre dans les fers, ce sera parce qu’ils m’empescheront d’avoir recours à une mort plus prompte & plus genereuse. Ha ! belle Princesse, adjoustoit il, soit que vous soyez parmi les morts ou parmi les vivans : dans le Ciel ou sur la Terre ; si vous pouviez voir le malheureux Artamene dans les prisons de Ciaxare, n’en auriez vous pas de la douleur & de l’estonnement ? Cependant je ne me pleins ni de sa rigueur, ni de son injustice : car enfin, je parois coupable à ses yeux ; & je le suis en effet : mais c’est d’une maniere bien differente de celle qu’il imagine. Je suis coupable, ma Princesse, mais c’est envers vous : ouy, je suis criminel, poursuivoit il, de vous avoir aimée, non pas comme fille du Roy des Medes ; mais comme la plus parfaite personne qui sera jamais. Comme fille d’un grand Roy je vous pouvois aimer : mais comme Mandane, il faloit vous aimer sans le dire ; il faloit souffrir sans se plaindre ; il faloit vous adorer en mourant ; & mourir sans oser vous parler d’amour. Ouy Mandane, s’escrioit il, je suis peut-estre la cause de tous vos malheurs : Car si je ne vous eusse point aimée, vostre ame n’estant preoccupée de nulle bonté pour moy ; peut-estre auriez vous reconnu l’affection d’un des plus grands Rois du monde : & sans tant de guerres, & sans tant de peines, vous seriez