Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/225

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que Mandane prioit les Dieux avec plus de ferveur, & plus d’attention, qu’elle n’avoit fait l’autrefois ; ce qui d’abord luy donna beaucoup de joye ; luy semblant qu’il y avoit quelque chose d’avantageux pour luy, qu’elle priast plus ardemment les Dieux, pour le bon succés de la guerre, que pour leur rendre grace de sa mort. Mais un moment, apres il passa de la joye à l’inquietude : car qui sçait, disoit il, si de l’heure que je parle, elle ne prie point pour mon Rival ? & si les vœux secrets qu’elle fait en son cœur, ne contredisent point ceux que l’on fait en public ? peut-estre qu’elle prie également, pour le Roy de Capadoce, & pour celuy de Pont : & que l’heureux succés de la guerre qu’elle demande, est l’heureux succés de l’affection qu’elle à pour ce Prince. Mais que fais-je, insensé que je suis ? reprenoit il, j’offense une Princesse de qui la vertu est sans tache : & de qui l’ame sans doute, n’est preoccupée d’aucune passion. Je le voy dans ses yeux ; je le juge par toutes ses actions ; & peut-estre que je ne trouveray son cœur que trop insensible, & que trop incapable d’amour. Enfin Seigneur, (pour n’abuser pas de vostre patience) cette seconde veuë acheva, ce que la premiere avoit commencé : il arriva mesme une chose, qui contribua encore beaucoup, à augmenter la passion d’Artamene : qui fut que le Sacrifice estant achevé, la Princesse ne sortit pas si tost du Temple, comme l’autrefois. Au contraire, elle y demeura apres le Roy : & la plus grande partie du Peuple, sçachant la coustume qu’elle avoit, d’y estre tousjours assez long temps apres la Ceremonie, lors qu’elle devoit tarder à Sinope ; se retira insensiblement, & la laissa dans la liberté d’achever ses devotions.