Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/251

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l’admiration à Mandane, qui en avoit esté bien mieux informée par Arbace. Artamene n’oublia pas de luy parler dignement de la valeur de Philidaspe, que la Princesse se ressouvint d’avoir veû à Sinope quelques jours auparavant que d’en partir : & enfin il sortit si heureusement de cette premiere conversation, qu’il en fut hautement loüé de toutes les Dames qui l’entendirent. Ce n’est pas qu’il eust la liberté entiere de son esprit : car outre qu’il estoit fortement attaché par les yeux à la veuë de la Princesse ; son cœur estoit si agité, qu’il n’avoit pas la moitié des charmes qu’il avoit accoustmé d’avoir. Mais la bonne mine d’Artamene, sa civilité, sa modestie, & sa bonne grace ; jointe à ce qu’il disoit, qui estoit tousjours ; respectueusement dit, & judicieusement pensé ; firent que le desordre de son ame ne fut point aperçeu : & qu’il se tira de cét entretien, avec une approbation generale.

Arbace le fit loger en un Pavillon du Chasteau qui gardoit sur le jardin : & eut de luy tout le soin qu’il devoit avoir d’un homme qui avoit sauvé la vie au Roy son Maistre : & qu’on luy avoit recommandé, d’une façon toute particuliere. Mais Artamene ne fut pas plustost au superbe Apartement qu’on luy avoit destiné, qu’il luy prit envie de s’aller promener ; & qu’il descendit dans le jardin qu’il avoit veû par les fenestres de sa chambre ; tant son inquietude amoureuse luy donnoit peu de repos. Ce n’est pas que son ame ne s’abandonnast alors à la joye : & que la veuë, & les civilitez de cette Princesse ne l’intretinssent agreablement : mais c’est qu’en effet l’Amour est de telle nature, qu’il ne peut jamais causer de plaisirs tranquiles : & soit qu’il donne de la joye ou de la