Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/252

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douleur, il ne donne presque jamais rien qu’en tumulte, & avec agitation & desordre. Artamene donc tout heureux qu’il estoit, ne laissoit pas d’estre inquieté : il estoit pourtant bien aise d’avoir entretenu la Princesse, & d’avoir encore trouvé en sa veuë & en sa conversation de nouveaux charmes pour le captiver. Du moins, disoit il, Raison tu ne t’oposeras plus à mon amour : & bien loin de t’employer à la destruire, tu m’ayderas à chercher les voyes de la satisfaire. Il y avoit aussi des momens, où luy sembloit qu’il n’avoit pas dit tout ce qu’il eust pû dire : & tout ce qu’il eust dit en une conversation où il n’eust pas esté si preoccupé : Mais apres tout, l’image de Mandane, fut ce qui remplit toute son ame. Il luy sembloit la revoir à chaque pas qu’il faisoit : & apres se l’estre figurée avec tous ses charmes ; & s’estre dit plus de cent fois à luy mesme, que s’estoit la plus belle chose du monde & la plus aimable ; apres avoir admiré cette façon d’agir qu’elle avoit, où sans perdre rien de sa modestie naturelle, elle avoit pourtant quelque chose de galant & d’aisé dans l’esprit, qui rendoit son entretien incomparable ; apres, dis-je, avoir bien passé & repassé toutes ces choses en son imagination ; ô Dieux ! disoit il, si estant si aimable, il arrivoit que je ne pusse en estre aimé, que deviendroit le malheureux Artamene ? Mais (reprennoit il tout d’un coup)puis qu’elle paroist sensible à la gloire & aux bien-faits, continuons d’agir, comme nous avons commencé : & faisons de si grandes choses ; que quand mesme son inclination nous resisteroit, l’estime nous introduisist malgré elle dans son cœur. Car enfin, quoy que l’on puisse dire, & quoy que j’aye dit moy mesme,