Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/253

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l’on peut estimer un peu, ce que l’on n’aimera point du tout ; mais je ne pense pas ne l’on puisse estimer beaucoup, ce que l’on n’aimera pas un peu. Esperons donc, esperons : & rendons nous dignes d’estre pleints, si nous ne le sommes pas d’estre pleints, si nous ne le sommes pas en d’estre pleints, si nous ne le sommes pas d’estre aimez. Comme il raisonnoit de cette sorte, sur l’estat de sa fortune, Feraulas l’advertit qu’il voyoit paroistre la Princesse au bout d’une Allée ; qui suivant sa coustume, venoit se promener dans le jardin, sur le point que le Soleils s’abaissoit. Artamene voyant qu’elle venoit vers luy, eust sans doute passé par respect dans une autre Allée qui touchoit celle où elle se promenoit, si elle ne luy eust fait signe de s’approcher. Mais Seigneur, pour n’abuser pas de vostre patience, je vous diray qu’en cette seconde conversation, & en cette promenade ; Artamene descouvrit tant de nouvelles beautez, & tant de saggesse en l’esprit de Mandane ; que si jusques là il avoit eu de l’amour, depuis il eut de l’adoration. La Princesse aussi connoissant mieux par cét entretien, moins general & un peu plus long, le merveilleux esprit de mon Maistre, conçeut une grande estime de luy : & le traita encore plus civilement, que la premiere fois qu’il l’avoit veuë. Pour s’aquitter du commandement du Roy, elle entreprit de luy persuader, de s’attacher à son service : Mais helas, que cette priere estoit inutile ! qu’il eut peu de peine à luy en accorder l’effet ! & qu’il eut de joye, de se voir prier de faire une chose, où il estoit resolu, & qui estoit si favorable à sa passion ! Comme il eut remené la Princesse à son Apartement, suivie de sa Dame d’honneur, de sa Gouvernante, & de toutes ses filles ; elle donna