Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/281

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vaincu : & les Dieux ſe ſont ſervis de ma main, pour vous donner la Victoire. Le Roy de Pont entendant parler Artamene de cette ſorte, luy dit que c’eſtoit luy qui l’avoit remportée : puis qu’enfin il s’eſtoit trouvé un des ſiens en eſtat de la luy annoncer ; n’eſtant pas meſme bleſſé. Il faut ſans doute, interrompit Artamene, que celuy que vous dites ſoit un laſche, qui ait eſvité la mort par la fuitte : & qui bien loing d’avoir triomphé, n’ait pas ſeulement combattu. Car s’il eſtoit vainqueur, que ne m’a-t’il achevé ; & que ne m’a-t’il empeſcfié d’eſlever ce Trophée ? Je t’ay laiſſé entre les morts (luy reſpondit alors l’inſolent Artane) & il y avoit long temps que tu eſtois hors de combat quand je ſuis party. Ha laſche impoſteur ! luy cria Artamene, ſi je n’avois pas eu de plus redoutables ennemis que toy à combattre, la victoire que j’ay remportée, ne m’auroit pas couſté ſi cher. Ce vaillant Guerrier que tu vois mort à mes peids, dit il en monſtrant Pharnace, eſt le dernier que j’ay veû debout : & le ſeul qui m’a penſé vaincre. Mais pour toy qui parois ſans bleſſure, dans un champ tout couvert de morts ; oſes tu bien te vanter, d’avoir triomphé à ſi bon marché ? L’eſtat où tu és, luy reſpondit l’inſolent Artane, n’eſt guerer celuy d’un Victorieux : à ces mots Artamene tranſporté de fureur, ramaſſant toutes ſes forces, acheva de ſe lever : & regardant Artane avec une fierté qui faiſoit peur, & qui avoit pourtant quelque choſe de divin ; viens, luy dit il, viens ſeulement, toy qui te vantes de n’eſtre point bleſſé : car tout foible que je ſuis, tout couvert de playes ; & tout trempé de mon ſang, & de celuy de nos Ennemis ; je ne laiſſeray pas de te ſoustenir, que tu és un impoſteur : & qu’il eſt impoſſible que tu ayes combatu.