Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/368

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de ceux qui seront armez comme vous ? S’ils me suivent, me respondit-il, ils ne laisseront pas de me reconnoistre : & je pretens agir d’une façon, qui ne leur permettra peut-estre pas de douter des lieux où je combattray. En effet Seigneur, l’on combatit : & Artamene fit des choses en cette journée, qui ne sont pas concevables. Jusques là, il avoit combattu en vaillant homme : mais en cette occasion, l’on peut quasi dire, qu’il combatit comme un Dieu irrité. L’on eust dit qu’il sçavoit qu’il estoit invulnerable, veû la maniere dont il s’exposoit : il enfonçoit des Escadrons ; il éclaircissoit tous les rangs ; il se faisoit jour à travers les Bataillons les plus serrez ; & rien ne luy pouvoit resister. Enfin il agissoit d’une maniere si prodigieuse ; que malgré ses armes simples, il se fit bien tost reconnoistre, & des Ennemis. Elles estoient toutes teintes du sang qu’il avoit respandu : & qui jalissant jusques sur sa Cuirace, l’avoit rendu plus terrible, & plus redoutable. Son Bouclier estoit tout herissé des traits qu’on luy avoit tirez : & qu’il n’avoit pû faire tomber comme autrefois en le secoüant, tant ils avoient eu la pointe acerée ; & tant ils avoient penetré avant dans ce Bouclier. Le Roy de Pont l’ayant rencontré en cét estat, & le reconnoissant facilement ; il ne tient pas à moy, luy cria-t’il, genereux Artamene, que je ne m’aquite de ce que je vous dois, en conservant vostre vie. Il ne tient pas non plus à moy, luy respondit mon Maistre, que vostre valeur ne reçoive un grand avantage de ma deffaite : puis que je fais tout ce que je puis, pour vous la rendre plus glorieuse : & pour n’espargner pas une vie, qui fait peut-estre plus d’un obstacle à vostre victoire, & à vostre felicité.