Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/424

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à propos, que comme j’avois esté le premier Amant d’Amestris à la Cour, je fusse aussi le premier, à luy descouvrir ma passion. Je le remerciay d’un conseil si genereux & si fidelle : & je le pressay si extraordinairement de vouloir voir Amestris ; qu’enfin il me promit d’y venir, pourveû que j’eusse preparé cette belle Personne, à la conversation d’un Solitaire. Je fus donc chez Amestris, que pour ma bonne fortune, je rencontray presque seule : si bien qu’il me fut aisé de trouver occasion de luy parler, sans estre entendu que d’elle. Madame, luy dis-je apres quelques discours indifferens, vous me trouverez sans doute bien hardy, de n’estre pas satisfait, de l’honneur que je reçoy, d’estre souffert aupres de vous ; & de vouloir encore obtenir la permission, de vous amener un de mes Amis ; qui souhaite passionnement de recevoir ce mesme honneur, quoy que ce ne soit guere sa coustume de visiter les Dames. Je luy en suis d’autant plus obligée, me respondit elle : & puis que vous le jugez digne d’estre de vos Amis ; je suis persuadée, qu’il me sera advantageux, qu’il puisse devenir des miens. Mais, Madame, luy dis-je en changeant de couleur, je voudrois bien vous demander grace pour luy : & vous obliger s’il estoit possible, d’agir de telle sorte avec mon Amy, qu’il n’eust que de l’estime pour vous, & qu’il vous admirast sans vous aimer. J’ay creû (me dit-elle en sous-riant, & en rougissant tout ensemble) que vous desiriez de moy, une chose bien difficile : mais à ce que je voy, puis que vous ne me deffendez que les choses impossibles ; il me sera bien aisé de vous satisfaire. Ha Madame, luy dis-je, que vous croyez peu ce que vous dites, s’il est vray que vous vous connoissiez comme je vous connois !