Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/483

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pour satisfaire mon amour : mais c’est sans doute assez, pour une personne qui doit donner des Loix à tout le monde, & qui n’en doit recevoir, que de sa propre volonté : & c’est mesme trop, si l’on considere le peu que je vaux, & vostre rare merite.

Je serois trop long, Seigneur, si je vous redisois tout ce que nous dismes dans cette triste, & pourtant agreable conference : mais enfin, comme il estoit desja assez tard, Amestris s’en voulut aller : & je me separay d’elle avec autant de desplaisir que de satisfaction. Plus elle m’avoit dit de choses obligeantes, plus je me trouvois malheureux en l’abandonnant : & j’eusse presque bien voulu, qu’elle m’eust esté moins favorable, afin d’estre moins affligé. Je n’estois pourtant pas long temps, dans un sentiment si interessé : & j’aimois de telle sorte la cause de ma douleur, que ma douleur mesme m’en devenoit precieuse, & presque agreable. Aussi la conservay-je avec un soing que je ne vous puis exprimer : & depuis le fatal moment, où je quittay Amestris, jusques à celuy où je parle ; je ne l’ay presque point abandonnée. Comme j’avois suivy Amestris des yeux, le plus long temps qu’il m’avoit esté possible ; & que je m’estois separé d’elle en soupirant, & sans luy pouvoir dire adieu : je m’en retournay aussi au lieu de ma demeure, sans songer ny au chemin que je tenois, ny à nulle autre chose, qu’à mon affliction : & l’image d’Amestris, malgré l’espaisseur des tenebres, ne laissa pas de m’apparoistre avec tous ses charmes & tout son esclat. Deux jours apres cette entreveuë, je partis pour m’en aller dans la Province des Arisantins, où Artambare me fit trouver retraite chez un de ses Amis, qui estoit Gouverneur d’une assez bonne Place. Je