Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/485

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donc avec un chagrin, qui se peut plus aisément concevoir qu’exprimer : & Amestris de son costé menoit aussi une vie qui avoit beaucoup d’amertume.

Je luy escrivois regulierement toutes les semaines, par un homme que je luy envoyois exprés : & elle avoit la bonté de me respondre : mais avec tant d’esprit & tant de sagesse ; que je puis dire que ses lettres ne me donnoient pas moins d’admiration que d’amour. Comme elle avoit esté extraordinairement touché de la perte d’Artambare & d’Hermaniste, elle m’en escrivit en des termes, capables d’inspirer la douleur dans l’ame la plus gaye, & la plus esloignée de toute melancolie : & comme naturellement elle a de la tendresse pour tout ce qu’elle doit aimer ; elle paroissoit si fort dans les Lettres qu’elle m’envoyoit ; que je souhaittois presque d’estre à la place d’Hermaniste & d’Artambare, pour recevoir des marques aussi sensibles, de l’amitié d’Amestris. Helas, disois-je, que cette Personne sçait bien aimer ce qu’elle veut aimer ! & que je serois heureux, si son affection estoit un bien, que je pusse posseder en repos & en liberté ! Mais durant que je passois les jours & les nuits à soupirer & à me pleindre, sans autre consolation que celle des Lettres d’Amestris ; mes affaires se reculoient, plustost que de s’avancer : parce que Megabise s’estant mis assez bien dans l’esprit du Roy, empeschoit qu’elles ne fissent. De sorte que mon Pere me mandoit tousjours, que je ne m’aprochasse pas d’Ecbatane, & que je me donnasse patience. Amestris qui craignoit aussi que je ne me hazardasse pour l’amour d’elle : & que je ne m’exposasse encore à un nouveau combat contre Megabise, ou contre Otane, qui la servoit tousjours ; me prioit instamment, de ne precipiter