Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/486

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pas mon retour. Ainsi je me voyois attaché malgré moy au lieu de mon suplice : & contraint de demeurer dans la plus cruelle incertitude, où un homme qui aime se soit jamais trouvé. Je sçavois que Megabise avoit tousjours esté un peu mieux avec Amestris, que tous mes autres Rivaux : que pendant un assez long temps, elle nous avoit traitez également : & qu’enfin Megabise estoit bien fait : avoit du cœur : de l’esprit ; & de la condition. De plus, je sçavois encore qu’il estoit devenu beaucoup plus riche par la mort d’Arbate, & qu’il estoit en faveur aupres du Roy : de sorte que comme je faisois des armes de toutes choses, pour me persecuter ; je ne manquay pas de m’accuser moy mesme, du malheur que je craignois : m’imaginant que si je n’eusse point tué Arbate, je n’eusse pas tant deû craindre que Megabise eust espousé Amestris, parce qu’il n’eust pas esté si riche, ny peut-estre tant en faveur. Je vivois donc de cette sorte, c’est à dire le plus malheureux des hommes : me persuadant tousjours, que ce que je souhaitois n’arriveroit jamais : & que ce que je craignois pouvoit arriver à tous les momens. Je ne voulois pas seulement esperer, qu’Amestris fust sincere & fidelle : & je m’imaginois quelques fois, que ses Lettres me déguisoient ses sentimens : & qu’elle ne me tesmoignoit quelque affection que pour me tromper. Cependant cette aimable Personne (comme je l’ay sçeu depuis) m’avoit gardé une fidelité inviolable : car non seulement elle m’avoit conservé son amitié ; mais elle avoit agi avec tous ses Amants, d’une façon si severe & si rigoureuse ; que si elle eust pû inspirer de mediocres passions, sa cruauté les auroit infailliblement tous gueris.