Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/487

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Mais comme sa beauté n’a jamais fait naistre que de violentes amours ; ils ne laissoient pas de s’opiniastrer dans leur dessein, & de la persecuter sans cesse. Neantmoins comme le deüil qu’elle portoit effectivement au cœur, aussi bien qu’à l’habillement, luy fournissoit un pretexte specieux, de retraite & de melancolie ; elle s’en servit au delà des bornes que la plus exacte bien-seance demande, en de pareilles occasions : & elle devint tellement solitaire & retirée, que ce n’estoit pas sans peine, que ceux qui l’aimoient la pouvoient voir. Les premiers mois de son deüil & de son affliction estant passez, elle ne changea point de forme de vivre : car elle refusa tous les divertissemens qu’on luy offrit : de la seule conversation de Menaste (c’est ainsi que s’appelle cette parente que j’ay, & qui est tant de ses Amies) estoit sans doute toute sa consolation & tout son plaisir. Elles alloient souvent ensemble, se promener dans ce mesme Jardin, où je l’avois veuë la derniere fois : & tout ce que l’Amour peut inspirer à une personne vertueuse ; il est certain qu’il l’inspira en ma faveur, à l’adorable Amestris. Mais helas, je n’en estois pas plus heureux ! & je voyois les choses d’une façon bien differente de ce qu’elles estoient. Ce n’est pas qu’il n’y eust quelques moments, où je m’imaginois qu’Amestris m’estoit fidelle, & que j’en estois effectivement aimé : mais Dieux ! cette imagination, toute douce qu’elle estoit, ne me rendoit pas moins impatient : & j’estois encore beaucoup plus pressé du desir d’aller à Ecbatane, pour y voir Amestris constrante, que pour y trouver Amestris infidelle.

Enfin je fus tellement emporté de mon amour, & de ma jalousie tout ensemble : que je me resolus de m’en aller secrettement à Ecbatane, chez ce mesme Jardinier