Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/495

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qu’elle n’a presque osé paroistre à vos yeux, que lors que le desespoir m’ayant osté la raison, m’a forcé de la faire esclater. Ouy Madame, j’ay souffert ; j’ay enduré sans me plaindre ; jusques à tant que la nouvelle du bonheur dont Aglatidas estoit prest de joüir, m’ait forcé de luy disputer une gloire, où je pensois avoir autant de droit que luy. Car enfin Madame, nos conditions sont égales : je vous ay aimée dés le premier moment que je vous ay veuë : je vous ay servie avec une assiduité sans pareille, & une fidelité sans exemple. Et tout cela Madame, sans recevoir une parole favorable de vous ny seulement un simple regard, qui eust quelque legere ombre de douceur pour moy. Je vous ay trouvée civile, il est vray, tant qu’il ne s’est agi que de choses indifferentes : mais dés lors que ma passion a éclaté, ha Madame, ces yeux, ces beaux yeux que j’adore, ne m’ont plus regardé qu’en colere. Vous avez esvité ma rencontre, comme celle d’un ennemy : Et pour dire tout en peu de paroles, je croy que vous m’avez haï. Cependant Madame, je n’ay pas laissé de vous adorer : vous, dis-je, qui m’avez osté le repos ; qui avez troublé toute la tranquilité de ma vie ; qui m’avez fait perdre un Frere, que j’avois beaucoup aimé, qui luy aviez osté la raison & la vertu ; qui me l’aviez fait haïr ; qui m’en aviez fait haïr ; & qui enfin m’avez preferé celuy qui l’a tué de ma propre espée. Cependant, Madame, je vous aime encore, & je vous aimeray eternellement : neantmoins comme il me reste quelque rayon de bons sens, malgré le trouble de mon esprit : je voudrois aujourd’huy vous conjurer, de m’apprendre sans déguisement, la cause de vostre aversion pour moy, afin de regler mes sentimens. Car