gardée ; elle avoit de l’horreur pour ma perfidie : & si elle regardoit la difference qu’il y avoit d’elle à Anatise, elle ne pouvoit assez s’estonner de ma foiblesse, & de mon aveuglement. Mais apres tout, il faloit me croire capable de l’une & de l’autre, & il n’estoit pas possible d’en douter. Menaste m’a pourtant assuré depuis, que le tort que je faisois à sa beauté, luy preferant une personne qui luy devoit ceder en toutes choses ; ne la toucha pas si sensiblement, que le tort que je faisois à sa vertu, en l’accusant d’estre inconstrante. Qu’Aglatidas, disoit elle, m’oste le cœur qu’il m’avoit donné ; qu’il cesse de me voir & de m’aimer ; & qu’il oublie les obligations qu’il m’a sans doute, d’avoir souffert qu’il me parlast de sa passion : apres tout, je m’en affligeray sans colere ; & je m’en consoleray peut-estre par raison. Mais qu’il veüille excuser sa foiblesse en m’en accusant ; ha Menaste, c’est ce qui vient au bout de toute ma patience : & ce qui me fait bien voir, que l’amour est une dangereuse passion. Car enfin y eut-il jamais une personne plus excusable que moy, ny plus innocente ? J’ay aimé Aglatidas, il est vray : mais je l’ay aimé, non seulement parce qu’il m’aimoit ; mais parce que mes parens ont creû, qu’il avoit de la sagesse & du jugement : & qu’il avoit toutes les qualitez qui peuvent faire un honneste homme. De plus, ne devois-je pas croire, que la Fortune m’ayant fait naistre assez riche, son propre interest feroit en son cœur, ce que mon peu de beauté ne pourroit pas faire ? & que soit qu’il fust sensible à l’amour ou à l’ambition, je pouvois esperer qu’il seroit fidelle ? Cependant, je me suis trompée en mes conjectures : & je ne connois que trop, qu’il ne faut jamais rien aimer.
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