Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/578

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de vous voir ny de vous aimer. Quoy Madame, luy dis-je, vous pretendez donc me haïr ? Je ne le pourrois pas quand je le voudrois, me respondit elle ; mais je puis m’empescher de vous parler. Ha si vous le pouvez, luy dis-je, vous ne m’aimez plus : & prenez garde Madame, de renouveller la jalousie dans une ame desesperée : & de me persuader, que peut-estre les tresors d’Otane ont touché vostre cœur. N’excitez pas Madame, une si violente passion dans mon esprit : & pour l’empescher, donnez moy un peu moins de marques d’indifference. Car enfin Madame, si vous achevez de me desesperer, je perdray de nouveau entierement la raison, comme je l’avois perduë dans ma premiere jalousie : & ne conserveray peut-estre pas tout le respect, que j’ay tousjours conservé. Dittes moy donc, adorable Amestris, que vous ne me haïssez pas : que vous voulez bien que je vous aime : & que vous souffrirez que je vous die quelques fois, que je meurs pour l’amour de vous. Je vous diray, me respondit elle, bien davantage : car je vous advoüeray que j’estime Aglatidas comme je le dois estimer : que je l’aime autant que je l’ay jamais aimée : & que je l’aimeray mesme jusques à la mort. Mais apres tout cela, il faut ne me voir plus de toute voste vie ; & tout ce que je puis faire pour vous, c’est de vous permettre de croire, lors que vous apprendrez ma mort (qui à mon advis arrivera bien tost) que la seule melancolie l’aura causée : & que mes dernieres pensées auront esté pour Aglatidas. Voila, me dit elle, tout ce que je puis ; & peut-estre mesme plus que je ne dois ; c’est pourquoy n’esperez rien davantage. Qui vit jamais, luy dis-je, Madame, une pareille advanture à la mienne ?