Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/579

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Vous dittes que vous m’avez aimé ; & que vous m’aimez encore : Vous dittes mesme que vous mourrez en pensant à moy : & pourquoy donc ne voulez vous pas vivre en m’escoutant quelques fois ; C’est parce que je ne le puis, me respondit elle, sans offenser un peu la vertu : & sans exposer ma reputation. Vostre innocence, luy dis-je, ne suffit elle pas pour vous satisfaire ? Nullement, me respondit Amestris ; & il faut paroistre ce que l’on est. Paroissez donc, luy dis-je, bonne & pitoyable, s’il est vray que vous la soyez : Paroissez vous mesme, repliqua t’elle, raisonnable & genereux, si vous estes tousjours ce que vous estiez. Mais le moyen Madame, de ne vous voir plus ? luy repliquay-je ; Mais le moyen, reprit elle, de se voir, pour se voir toujours infortunez ? Les larmes, luy dis-je, que l’on mesle avec celles de la personne aimée, n’ont presque point d’amertume : & les douceurs, interrompit elle, où la vertu trouve quelque scrupule à faire, ne sont plus douceurs pour moy. Vous voulez donc, Madame, luy dis-je, qu’Aglatidas ne vous voye plus, & peut-estre ne vous aime plus ? Je devrois en effet souhaitter cette derniere chose comme la premiere, reprit elle ; mais j’advoüe que je ne le puis. Que voulez vous donc qu’il face ? luy dis-je ; Je veux, respondit Amestris, qu’il m’aime sans esperance ; qu’il se console sans me voir ; qu’il vive sans chercher la mort ; & qu’il ne m’oublie jamais. En disant cela, elle me voulut quitter : mais je luy pris la main malgré elle ; & la retenant par force, en me jettant à genoux ; au nom des Dieux Madame, luy dis-je, accordez moy ce que je vous demande, ou ne me deffendez pas de chercher la mort. Je ne puis plus vous rien accorder, me dit elle, car la gloire veut que je vous refuse ce que vous souhaitez : &