Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/80

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Mazare ; il vouloit pleindre sa Princesse ; il vouloit accuser les Dieux ; il vouloit tuer son Rival ; il se vouloit tuer luy mesme ; & ses pleurs & ses plaintes voulant & ne pouvant sortir tout à la fois ; firent que Mazare eut le temps d’entendre quelqu’un de cette maison qui prononça le nom d’Artamene. Il se tourna alors de son costé, avec autant de precipitation, qu’une personne extrémement foible en pouvoit avoir : & le regardant d’une façon tres touchante & tres pitoyable ; est-ce vous, luy dit il, qui par l’affection d’une grande Princesse estiez le plus heureux de tous les hommes ; & que j’ay rendu le plus infortuné par sa perte ? Est-ce toy (luy respondit Artamene outré de douleur) qui par ton injustice as desolé toute la Terre, en la privant de ce qu’elle avoit de plus beau & de plus illustre ? C’est moy (luy repliqua cet infortuné, les yeux tout couverts de larmes) qui suis ce criminel que vous dittes ; & qui me serois desja puni, si j’en avois eu la force. Mais j’espere toutefois, que la mort ne sera pas long temps à venir : cependant comme je la trouve trop lente ; je ne vous seray pas peu obligé, si vostre main devance la sienne. Ceux qui mont trouvé au bord de la Mer, sçavent bien que je ne les ay pas priez de me secourir ; & que c’est malgré moy que j’ay vescu, depuis la mort de cette illustre Princesse. Mais est il bien vray, reprit Artamene, que ma Princesse soit morte ? L’as tu veuë perir ? As tu fait ce que tu as pû pour la sauver ? Ne l’as tu point abandonnée ? L’as tu veuë sur la Galere ? L’as tu veuë sur le rivage ? Enfin l’as tu veuë mourante ou morte ? Je l’ay veuë sur la Galere, respondit tristement Mazare ; je l’ay veuë tomber dans la Mer ; je m’y suis jetté apres elle ; je l’ay prise par cette Escharpe ; je l’