Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/82

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deplorable estat : Chrisante & Feraulas n’avoient pas la hardiesse de luy parler : & luy mesme ne sçavoit pas seulement, s’ils estoient aupres de luy. Il marchoit en regardant le rivage : & s’imaginant que tout ce qu’il voyoit estoit le Corps de sa chere Princesse ; il y couroit avec une precipitation extréme : & s’y arrestoit apres, avec un redoublement de chagrin estrangge. Enfin apres avoir esté fort loing inutilement, il se mit sur un rocher qui s’avançoit un peu dans la Mer ; comme pour attendre si les vagues ne luy rendroient point ce qu’elles luy avoient dérobé : & commandant encore une fois à tous ceux qui avoient commencé de chercher, de continuer leur queste ; il ne demeura que Chrisante & Feraulas aupres de luy : qui quoy qu’il leur peust dire, ne le voulurent point abandonner. Helas, que ne dit point ! & que ne pensa point ce malheureux Amant en cét endroit ! Ne suis-je pas, disoit il, le plus infortuné de tous les hommes ? & pourroit-on imaginer un suplice plus espouvantable, que celuy que je suis obligé de soufrir par la rigueur de ma destinée ? Ha ! belle Princesse, faloit-il que les Dieux ne fissent que vous montrer à la Terre ? Et ne vous avoient-ils renduë la plus adorable Personne du monde, que pour vous mettre si tost en estat de n’estre plus adorée ? Helas ! cruelles flames (s’écrioit il en regardant vers la Ville, dont on voyoit les ruines en esloignement) que j’avois de tort de vous accuser de la perte de ma Princesse ! & que je sçavois peu que ce seroit par un Element qui vous est opposé, que ce malheur m’arriveroit ! Toutes impitoyables que vous estiez, vous m’en eussiez au moins laissé les precieuses Cendres : & les miennes eussent pû avoir la gloire d’y estre meslées.