Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/83

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Mais ô rigueur de mon Sort ! cette Mer inexorable ne me veut pas seulement rendre ma Princesse morte : & elle se contente de sauver la vie à son Ravisseur & à mon Rival. Encore la cruelle qu’elle est, si elle la luy eust conservée en estat de satisfaire ma haine & ma vangeance, j’aurois quelque legere consolation dans mon infortune : mais la Barbare, en retenant ma Princesse, me rend mon Rival, seulement pour me dire qu’il l’a veuë en un danger presques inevitable ; qu’il l’a veuë entre les bras de la Mort ; & qu’il l’a veuë dans des sentimens pour moy, que je n’osois esperer qu’elle eust. Et apres cela, il perd la parole, & demeure en estat de ne pouvoir servir de soulagement à mon desespoir. Du moins respondit Chrisante, vous avez la consolation de sçavoir qu’il ne l’a pas veuë morte : & que cét Arrest irrevocable, ne vous a pas esté prononcé. Ainsi, adjousta Feraulas, il vous est permis d’esperer, que le mesme fort de Mazare aura esté celuy de la Princesse ; & peut-estre mesme que le sien aura encore esté meilleur. Car comme elle n’aura pas eu le mesme regret de sa mort qu’il a eu de la sienne ; elle aura voulu vivre, au lieu qu’il a voulu mourir : & la douleur n’aura pas fait en elle, ce que le naufrage n’aura pû faire. Ouy, Seigneur, peut-estre qu’elle aura vescu ; & qu’elle vit presentement, sans autre inquietude que celle de se voir sans vous. Ha Chrisante ! ha Feraulas ! s’écria t’il, cette foible esperance, qui malgré moy occupe encore quelque petite place au fonds de mon cœur, est peut-estre un de mes plus grands malheurs : car si je ne l’avois pas, sçachez mes Amis, que sans m’amuser à des cris ; ni à des pleintes, j’aurois desja suivi l’illustre Mandane. Ce n’est donc que par ce foible espoir que je vis encore :