Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/84

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Mais quoy que l’esperance soit un grand bien dans la vie ; & qu’elle soit appellée le secours de tous les malheureux ; elle est si debile dans mon esprit, qu’elle ne m’empesche pas de souffrir les mesmes douleurs que je souffrirois, si j’avois veû de mes propres yeux, la perte de ma Princesse. Ouy, Chrisante, je la voy dans la Mer recevoir comme avec chagrin, le secours de son Ravisseur ; je voy cette vague impitoyable, qui l’arrache d’entre les mains de celuy, qui apres l’avoir perduë la vouloit sauver ; & je voy cette mesme vague (ô Dieux quelle veuë & quelle pensée ! ) la sufoquer, & l’engloutir dans l’abisme. En disant cela, ses larmes redoublerent encore : & il se mit à baiser cette Escharpe qu’il tenoit, avec une tendresse extréme. O vous, s’écria t’il, qui fustes autrefois l’objet de mes desirs, & que je souhaitay comme la plus grande faveur que j’eusse jamais pû pretendre ; qui m’eust dit que je vous eusse deû recevoir avec tant de douleur, j’aurois eu bien de la peine à le croire. Je vous desirois alors, pour me donner le courage de vaincre les Ennemis du Roy, & de la Princesse : & je vous regarde aujourd’huy, afin que vous hastiez ma mort, en redoublant dans mon esprit desesperé, le triste souvenir de Mandane. Mais n’admirez vous pas, dit il à Chrisante, le caprice de ma fortune ? J’ay plus reçeu de tesmoignages d’affection de cette chere Princesse, par la bouche de mes Rivaux, que je n’en avois jamais reçeu par la sienne : & cette vertu severe, avoit tousjours distribué les graces qu’elle m’avoit faites, avec tant de sagesse, & tant de retenuë, que je n’avois jamais osé m’assurer entierement de ma bonne fortune : & cependant j’aprens du Roy d’Assirie ; d’une Lettre de Mazare, & de Mazare luy mesme, &