Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/85

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de Mazare mourant ; que j’avois plus de part en son cœur, que je n’y en osois esperer ; & qu’enfin j’estois beaucoup plus heureux que je n avois pensé l’estre. Mais ô Dieux ! à quoy me sert ce bonheur ; à quoy me sert cette certitude d’estre aimé, si celle qui pouvoit faire ma felicité par son eslection, n’est plus en estat d’aimer : & si je suis contraint moy mesme d’abandonner avec la vie, & toutes mes esperances, & toute ma bonne fortune ? Apres cela, il fut quelque temps sans parler : tantost regardant vers la Mer ; tantost regardant si ces gens qu’il avoit envoyé chercher ne revenoient point ; & tantost regardant cette Escharpe qu’il tenoit. Mais enfin Chrisante voyant que le jour alloit finir, voulut luy persuader de reprendre le chemin de la Ville : quand mesme ce ne seroit, luy dit il, que pour pouvoir renvoyer plus de monde, chercher tout le long de la Côste. Cette derniere raison, quoy que forte & puissante sur son esprit, ne l’eust neantmoins pas si tost fait partir du lieu où il estoit ; n’eust esté qu’il vit paroistre de loing Thrasibule, Araspe, Aglatidas, Hidaspe, & beaucoup d’autres ; qui ne l’ayant pas suivy par respect, pour luy laisser la liberté de ses pensées, venoient le rejoindre, apres luy avoir laissé un temps raisonnable pour les entretenir. Il ne les vit pas plus tost, qu’il se leva ; & regardant Chrisante & Feraulas, le moyen, leur dit il, de cacher une partie de ma douleur ? Et comment pourray-je faire pour tesmoigner à tous ceux qui viennent à nous, que je n’en ay qu’autant que la compassion en peut raisonnablement donner ? & que si je regrette la Princesse, c’est comme Fille de Ciaxare, & non pas comme Maistresse d’Artamene. Pour moy, leur dit il, mes Amis, je ne pense pas le pouvoir faire : Cependant je sçay bien que si Mandane pouvoit