Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

m’aparoistre en cet instant, ce seroit pour me l’ordonner : & ce seroit pour me commander de cacher mes larmes afin de cacher mon affection. Mais, belle Princesse, s’écria t’il, il faudroit ne vous aimer pas comme je vous aime ; & il faudroit avoir sa raison plus libre que n’est la mienne, pour vous pouvoir obeïr.

A ces mots, Thrasibule & toute cette Troupe, se trouverent si prés de luy, qu’il fut contraint de se taire ; & de s’avancer vers eux pour les recevoir. Ils le virent si changé, que quand il ne leur auroit rien dit, ils n’eussent pas laissé de connoistre qu’il luy estoit arrivé quelque grand sujet de déplaisir : & comme il estoit infiniment aimé de tout le monde ; & particulierement de ceux qui estoient alors aupres de luy ; sans sçavoir mesmes ce qu’il avoit, ils changerent tous de visage : & partagerent une affliction, dont ils ne sçavoient pas encore la cause. Ils ne l’ignorerent pourtant pas long temps : & l’affligé Artamene, qui n’eust pû leur dire cette funeste nouvelle le premier sans en mourir ; fut relevé de cette peine par Feraulas, qui la leur apprit d’abord en peu de mots : de peur que s’il se fust arresté à exagerer cette perte, Artamene n’eust pas esté Maistre de sa douleur : & n’eust donné des marques trop visibles, d’une chose qu’il vouloit cacher. Thrasibule deplora ce malheur, autant qu’il estoit déplorable : Hidaspe comme plus attaché d’interest à la Maison de Ciaxare, en fut sensiblement touché : Araspe s’en affligea aussi beaucoup : & Aglatidas qui par sa propre melancolie, avoit tousjours une forte disposition à partager celle d’autruy ; en pleura comme s’il eust eu un interest plus particulier,