Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/88

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de Cyrus, je ne laissay pas de le pleurer, & de le regretter beaucoup. Chrisante pour faire changer de discours, & pour ne respondre pas à celuy-là ; dit à l’affligé Artamene, que peut-estre ceux qu’il avoit envoyez vers Ciaxare, l’auroient desja trouvé fort avancé : estans convenus ensemble lors qu’il estoit parti, qu’il le suivroit bien tost avec toute l’Armée : & Aglatidas, de qui toutes les pensées alloient tousjours à l’amour, & à la melancolie ; adressant la parole au mesme Artamene ; je vous assure, luy dit il, que quoy que je sois sujet de Ciaxare, & par consequent ennemy du Roy d’Assirie ; je ne puis m’empescher de pleindre ce dernier : comme devant estre sans doute le plus malheureux, lors qu’il sçaura cette perte ; s’il est vray qu’elle nous soit arrivée. Car enfin, adjousta t’il, quoy qu’il ne fust pas aimé, il estoit Amant ; & l’Amour est tellement au dessus de tous les sentimens, que la Nature, la Raison, & l’Amitié peuvent donner, qu’il n’y a nulle comparaison d’elle aux autres. Pour moy, adjousta t’il encore, si au lieu de connoistre un Amant haï, comme le Roy d’Assirie, je connoissois un Amant aimé, qui eust souffert cette infortune ; je pense que la seule compassion que j’en aurois, me feroit mourir de douleur. Mais comme la vertu de la Princesse estoit trop severe, pour avoir donné cette matiere d’affliction à personne ; il se faut contenter de pleindre le Roy d’Assirie, qui effectivement est le plus à pleindre. Artamene fut estranggement embarrassé, à respondre à un discours si pressant : mais s’il eut assez de force pour retenir ses larmes, il n’en eut pas assez pour estousser ses souspirs. Il dit donc seulement à Aglatidas, que cette Princesse avoit tant de vertus,