Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, première partie, 1654.djvu/89

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que tous ceux qui l’avoient connuë, avoient esté ses adorateurs : & qu’ainsi il faloit pleindre en general, tous ceux qui avoient eu cét honneur : soit qu’ils fussent Medes, Assiriens, ou Persans. Apres cela, pour n’estre plus exposé à une conversation si penible ; il marcha trente pas devant les autres : qui continuerent de s’entretenir, de la douleur qu’ils voyoient en Artamene : & de louër l’affection qu’il témoignoit avoir pour le Roy son Maistre. Car encore que cét accident les eust fort touchez ; comme une partie d’entr’eux n’avoient jamais veû la Princesse, & que pas un n’en avoit esté amoureux ; ils remarquoient facilement, qu’il y avoit une notable difference, de leur affliction à la sienne ; dont ils ne sçavoient pas la cause la plus forte & la plus cachée. Artamene estant arrivé à la Ville, & entré dans sa chambre, congedia tout le monde : & demeura seul à entretenir son desespoir, par le souvenir de toutes ses infortunes. Il fut luy mesme mettre dans sa Cassette, l’Excharpe de sa Princesse, qu’il avoit euë par les mains du miserable Mazare : Mais s’il prit soin de la conserver, ce fut plustost comme un moyen infaillible de redoubler ses desplaisirs, que comme une consolation à ses douleurs : & pour ne negliger rien de tout ce qui pouvoit augmenter ses peines. Il fit mesme servir à son suplice, la memoire de quelques legeres faveurs, qu’il avoit reçeuës de sa Princesse : & cette Ame grande & noble, qui ne faisoit jamais nulle reflexion sur les belles choses qu’elle avoit faites ; & qui ne s’attachoit qu’à l’advenir, pour en faire encore de plus heroïques ; souffrit en cette occasion, que l’image de tant de glorieux Combats ; de tant de Batailles gagnées ; & de tant de Triomphes ; repassast en son