Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/394

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luy dit il, vous voulez que je puiſſe conſerver la raiſon, en aprenant que ce cœur que je croiyois inſensible pour toute la Terre, ne l’eſt pas pour Artamene ! N’eſtoit-ce point aſſez que je sçeuſſe que vous me haiſſiez, fans que j’apriſſe qu’un autre eſtoit aimé ; & un autre encore que j’ay touſjours haï ? Tant que je ne vous ay creüe qu’inſensible, les Dieux sçavent que dans le fonds de mon cœur je vous ay juſtifié autant que je l’ay pû : J’advoüois que vous aviez raiſon de mépriſer tous les Rois du Monde, parce qu’il n’y en avoit point qui fuſt digne de vous. Je confeſſois que mon procedé meritoit que vous me fiſſiez attendre long temps le pardon de ma faute : Mais Madame, lorſque j’ay apris avec certitude, que le ſeul homme de toute la Terre, pour qui j’ay de la haine (quoy que j’aye de l’eſtime pour luy) eſt le ſeul que vous aimez ; ha Madame, je n’ay pû demeurer dans les termes que je m’eſtois preſcrit. Je me ſuis plaint ; je vous ay accuſée, j’ay perdu le reſpect en perdant auſſi la raiſon ; & je penſe meſme que ſi j’euſſe pû m’arracher de l’ame la violente paſſion que voſtre beauté y a fait naiſtre, je l’euſſe fait avec joye. Ouy Madame, je l’advoüe, j’ay fait tout ce que j’ay pu pour vous haïr : mais Dieux que tous mes efforts ont eſté inutiles ! Car enfin je vous aime plus que je ne vous aimois ; ma haine a augmenté pour Artamene, & mon amour s’eſt accrue pour la Princeſſe Mandane. je me trouve un intereſt nouveau à eſtre aimé de vous : il faut Madame, il faut que je chaſſe Artamene de voſtre cœur : il faut que mes reſpects, mes ſoings, mes larmes, & mes ſoupirs, le detruiſent : & il faut enfin que je meure, ou qu’il ne vive plus en voſtre memoire. La Princeſſe entendant parler le