Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, seconde partie, 1654.djvu/635

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tout le plaiſir que l’eſtat preſent de ſa vie luy pouvoit permettre d’avoir. Il eſtoit pourtant en termes de ne pouvoir apprendre d’Advantures ny bonnes ny mauvaiſes ſans quelque douleur : car lors qu’on luy parloit de la felicité de quelqu’un, la comparant à ſon infortune, il en ſoupiroit : & ſi on luy diſoit quelque choſe de funeſte, il en ſoupiroit encore : tant il eſt vray que l’experience des malheurs, rend l’ame ſensible à la compaſſion : Il ſe reſjoüit donc du bonheur de Philoxipe, mais en ſoupirant : & il teſmoigna à Leontidas qu’il eſtoit bien fâché de n’eſtre pas en eſtat de pouvoir faire voir à Philoxipe en la perſonne du Prince Artibie & en la ſienne, combien tout ce qu’il luy recommandoit luy eſtoit cher. Mais, luy dit il, Leontidas, vous venez ſervir un ſi Grand Roy & ſi equitable, que voſtre vertu ne laiſſera pas d’eſtre auſſi bien recompenſée, que ſi j’eſtois encore en liberté. Seigneur, luy reſpondit Leontidas, il ſeroit bien difficile de perſuader à toute l’Aſie que le Roy des Medes fuſt equitable en toutes choſes, tant que vous ſerez priſonnier : Les Rois (reprit Artamene avec une ſagesse extréme) font quelquefois des injuſtices innocemment : parce qu’ils ſont perſuadez qu’ils ont raiſon d’agir comme ils agiſſent : & ceux qui ſouffrent ces eſpeces d’injuſtices dont je parle, ſeroient eux meſmes bien injuſtes, s’ils ne les enduroient paſſans les en accuſer & ſans s’en pleindre. Thimocrate, Philocles ; & Leontidas ravis de la prudence d’Artamene ; & de voir qu’il ne sçavoit pas moins bien uſer de la mauvaiſe fortune que de la bonne, le quitterent apres luy avoir fait de nouvelles proteſtations d’une amitié inviolable. Mais durant qu’il ſouffroit avec tant de patience une priſon ſi