Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/100

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longue conteſtation en moy meſme, de l’entretenir de ma paſſion ſi je le pouvois. Mais je fus ſi malheureux les deux premiers jours, que non ſeulement je ne pûs luy parler, mais que meſme je ne la pûs voir, parce qu’elle ſe trouvoit un peu mal. Le dernier jour que je devois eſtre à Delphes eſtant donc arrivé, j’eus une douleur que je ne sçaurois exprimer : quoy diſois-je, je partiray, & je partiray peut-eſtre ſans voir Teleſile, & ſans qu’elle sçache que je parts d’aupres d’elle le plus amoureux de tous les hommes : Ha ! non non, je ne m’y sçaurois refondre : & la mort a quelque choſe de plus doux qu’un ſemblable départ. Je me levay ce jour là de tres grand matin, quoy que je sçeuſſe bien que quand je devrois voir Teleſile, ce ne pourroit eſtre qu’apres Midy : mais c’eſt qu’en effet je n’eſtois pas maiſtre de mes actions, ny de mes penſées. Je fus dire adieu à diverſes perſonnes : mais en quelque quartier de la Ville qu’elles demeuraſſent, je paſſois touſjours par celuy de Teleſile, ou pour y aller, ou pour en revenir, & ſouvent meſme en allant & en revenant : me ſemblant que ce m’eſtoit quelque que eſpece de conſolation de m’aprocher d’elle, bien que je ne la deuſſe point voir. Je recevois les complimens que l’on me faiſoit ſur mon voyage, avec une froideur qui ſurprenoit tous ceux qui la remarquoient : & j’agiſſois enfin d’une ſi biſarre maniere, que je m’eſtonne que quelqu’un ne fuſt advertir les Amphictions qu’ils avoient grand tort d’avoir choiſi un ſi mauvais Agent, pour une affaire de telle importance.

La choſe n’arriva pourtant pas ainſi ; & l’apreſdisnée eſtant venuë, je fus chez, Diophante, le demander pour luy dire adieu. Il m’embraſſa avec beaucoup de civilité : mais comme je