Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/99

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par une autre voye, & je fus nommé pour cela. Il eſt certain que jamais homme de mon âge n’avoit eu un pareil honneur : & qu’en toute autre Saiſon j’en aurois eu beaucoup de joye. Car enfin eſtre choiſi par les plus Grands hommes de toute la Grece, pour agir dans une affaire d’auſſi grande conſequence que celle des Mileſiens ; eſtoit une choſe capable de flater la vanité de tout autre, que d’un homme amoureux comme je l’eſtois. Cette abſence avoit donc tout ce qui là pouvoit rendre ſuportable : la cauſe en eſtoit glorieuſe : vray-ſemblablement elle ne devoit pas eſtre fort longue : mes Rivaux meſmes en eſtoient faſchez : & elle pouvoit donner meilleure opinion de moy à Teleſile. Cependant je reçeus cét honneur, avec une douleur eſtrange : & dés que je penſois qu’il faloit m’eſloigner de ce que j’aimois, tout ſentiment d’ambition s’eſloignoit de mon cœur : & l’affliction s’en emparoit de telle ſorte, qu’il ne reſtoit nulle place pour nul autre ſentiment. La choſe n’avoit pourtant point de remede : je ne pouvois la refuſer qu’en me deſhonnorant : & par conſequent qu’en me deſtruisant dans l’eſprit de Teleſile. Mon honneur & mon amour voulant donc que je l’acceptaſſe, il falut ſe reſoudre à obeïr : & meſme à partir trois jours apres. Je fis tout ce que je pus, pour differer au moins mon depart, mais il n’y eut pas moyen : de ſorte qu’il ne me demeura rien à faire, que de bien meſnager le peu de temps que je devois encore eſtre à Delphes. Je laiſſay donc abſolument le ſoin de ce qui regardoit les preparatifs de mon voyage à mes gens : & je ne m’occupay qu’à chercher les voyes de pouvoir parler à Teleſile en particulier : m’eſtant abſolument determiné, apres une aſſez