Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/113

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dit elle en rougiſſant, & en riant à demy) que Crantor s’eſt aſſurément mis dans la fantaiſie que je ſuis un Threſor : & c’eſt ſans doute par cette raiſon qu’il veut que je ſois à luy. Androclide fut ſi ſurpris du diſcours de cette Fille, qu’il creût ne l’avoir pas bien ouï : Crantor, luy dit il en l’interrompant, veut que vous ſoyez à luy ! & comment l’entend t’il ; & comment le peut il entendre ? Il entend, dit elle ſans s’émouvoir, de vous donner Teleſile, auſſi toſt que je l’auray eſpousé : de ſorte mon Frere : adjouſta t’elle, que c’eſt de ma ſeule volonté que dépend voſtre bonheur preſentement. Car ſi je me reſous de ſatisfaire la paſſion qu’il dit avoir pour moy, il m’a aſſuré qu’il ſatisfera la voſtre : & qu’il obligera Diophante à vous donner Teleſile. Mais mon Frere, pourſuivit elle, eſpouser un homme de l’âge & de l’humeur de Crantor, n’eſt pas une choſe que je puiſſe faire ſans repugnance : neantmoins l’amitié que j’ay pour vous eſt ſi forte, qu’elle me fera vaincre l’averſion que j’ay pour luy : & je vous aſſure que la felicité dont vous joüirez par la poſſession de Teleſile, me conſolera beaucoup plus, que ne feront tous les threſors de Crantor. Pendant qu’Atalie parloit de cette ſorte, Androclide eſtoit ſi ſurpris, qu’il ne sçavoit preſques ce qu’il devoit luy reſpondre : car il l’a raconté depuis à d’autres perſonnes. Comme il avoit quelque confuſion de faire connoiſtre à ſa Sœur, que l’avarice avoit autant de place en ſon ame que l’amour : il prit un biais qu’il creut bien fin & bien adroit. Ma chere Sœur, luy dit-il, je n’ay garde de conſentir que vous vous rendiez malheureuſe toute voſtre vie pour l’amour de moy : & quoy que j’aime paſſionnément Teleſile, je ne l’eſpouseray jamais, en vous obligeant d’eſpouser