Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/129

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depuis, fit sçavoir avec adreſſe, ſans qu’elle sçeuſt que ce fuſt par luy, que j’eſtois fort attaché à Pheretime. De ſorte que lors que je retournay à Delphes, je trouvay ſon eſprit changé : & j’apris par Meleſandre qu’il y avoit : plus de quinze jours qu’elle n’avoit voulu ſouffrir qu’il luy parlaſt de moy comme à l’ordinaire. Diophante meſme me parut changé auſſi bien qu’elle : car ayant sçeu que mon Pere avoit teſmoigné une ſi forte averſion pour ſon alliance, il en avoit l’eſprit aigry : & je fus quelques jours auſſi malheureux qu’on le peut eſtre, en la preſence de ce que l’on aime. Mais enfin ayant trouvé Teleſile un jour chez elle, avec aſſez de liberté pour luy pouvoir parler bas : qu’ay-je fait Madame ? luy dis-je, l’abſence m’a t’elle détruit dans voſtre cœur ? & ſeriez vous capable de la foibleſſe que je vous ay tant entenduë condamner ? Thimocrate, me dit elle, ne me chargez point de voſtre crime ; & contentez vous que Teleſile ne ſe pleigne pas ſans vous pleindre. Ce n’eſt pas qu’elle n’en euſt ſujet : mais c’eſt qu’elle eſt trop glorieuſe pour le faire. Ainſi, dit elle avec un ſous-rire un peu forcé, vous ne devez pas craindre que mes reproches troublent le plaiſir que vous avez à vous ſouvenir de Pheretime. Pheretime ! (luy dis-je tout ſurpris, & comprenant alors le ſujet de ſon changement pour moy) ha Madame, vous ne me connoiſſez pas ; vous ne la connoiſſez point ; & vous ne vous connoiſſez pas vous meſme : ſi vous pouvez croire que je puiſſe penſer à elle en vous voyant. J’ay touſjours penſé à vous Madame ? lors que j’ay eſté aupres de Pheretime : mais je ne me ſuis point ſouvenu de Pheretime depuis que je ſuis à Delphes. Ha injuſte Perſonne que vous eſtes, luy dis-je encore,