Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/152

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jaloux, quand il eſt aupres de ſa Maiſtresse, quoy que malheureux, a des inſtants où il a ſans doute quelque plaiſir : ſoit à traverſer les deſſeins de ſon Rival ; ſoit à premediter ſa vangeance ; & ſoit meſme à découvrir quelque intrigue qu’il a voulu sçavoir. Car encore que ces plaiſirs ne ſoient pas plaiſirs tranquiles, ils ſont pourtant touſjours plaiſirs. Mais un Amant abſent eſt en un eſtat ſi malheureux, qu’il ne trouve plaiſir à rien : ainſi je demande du moins, ô mon equitable Juge, que comme j’ay éprouvé l’abſence, de toutes les façons dont on la peut eſprouver ; & que je ſuis le plus malheureux de tous les Amant ; j’aye auſſi le plus de part en voſtre compaſſion, Thimocrate ayant ceſſé de parler, Marteſie ſe tourna vers Cyrus, comme pour luy demander ce qu’il luy ſembloit de ſon recit & de ſes raiſons : & Cyrus reſpondant à ſon intention. En verité, luy dit il en ſoupirant, vous ſeriez injuſte ſi vous refuſiez à Thimocrate la compaſſion qu’il vous demande : car ſon diſcours m’a ſi ſensiblement touché, que je ne sçaurois l’exprimer. Seigneur, luy reſpondit elle, Thimocrate a obtenu ce qu’il ſouhaite de moy, dés le premier de ſes malheurs qui eſt venu à ma connoiſſance : c’eſtant pas poſſible de connoiſtre un auſſi honneſte homme affligé, ſans s’intereſſer dans ſon déplaiſir. Ne prenez pas tant de part à ſa douleur, interrompit Philocles, que vous ne reſerviez quelque ſentiment de pitié pour la mienne. Pour moy, pourſuivit le Prince Artibie, je n’ay que faire de demander que l’on me pleigne, puis que mon mal eſt ſi grand, qu’il ne faut que le sçavoir pour m’en pleindre. Je ne sçay, adjouſta Leontidas, ſi je ſeray pleint ; mais je sçay bien qu’il n’y a point de comparaiſon des maux que j’