Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/161

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tre & la leût tout haut. J’avouë que j’en eſtois ſi confondu, que je ne pouvois m’empeſcher de l’interrompre : & quoy que la loüange ſoit une douce choſe, principalement aux jeunes gens ; j’eus pourtant peur effectivement que je ne puſſe ſoustenir par ma preſence, le bien que la Princeſſe Cleobuline diſoit de moy. Voyant donc ma reſistance, elle ſe ſervit de ſon pouvoir abſolu pour me la faire prendre, ainſi apres m’avoir commandé de la fermer, il falut que je la priſſe, & que je luy promiſſe de la rendre. Je ne pûs toutefois m’y reſoudre, quoy que je ne puſſe non plus la ſuprimer : Ce n’eſt pas que je ne sçeuſſe bien qu’elle me pouvoit nuire ; eſtant certain que c’eſt une aſſez dangereuſe choſe que les louanges exceſſives dans les nouvelles connoiſſances, meſme aux perſonnes les plus accomplies : mais c’eſt enfin qu’il n’eſt pas aiſé de reſister à la flaterie.

De ſorte que ſans sçavoir bien preciſément ce que je ferois de cette Lettre, je la portay : & je partis avec un homme de qualité appellé Antigene, de meſme âge que moy, qui venoit faire le meſme voyage : & qui eſt aſſurément un auſſi agreable homme qu’il y en ait jamais eu à Corinthe. Nous eſtions Amis fort particuliers en ce temps là : nous eſtions de meſme taille : à peu prés de meſme air & de meſme mine : nous aimions les meſmes choſes : & il ſe meſloit auſſi bien que moy de Vers, de Peinture, & de Muſique. Si la Princeſſe Cleobuline euſt sçeu qu’il euſt deû faire ce voyage, elle auroit ſans douté parlé de luy dans il lettre, car elle l’eſtimoit aſſez, mais il s’en cacha à tout le monde ; ne voulant pas que ſon Pere sçeuſt où il alloit, à cauſe de quelque intereſt de famille, qui ſeroit oppoſé à ſa curioſité. Nous nous embarquaſmes donc