Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/198

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la fut de telle ſorte, que les Medecins crûrent qu’elle en mourroit. Neantmoins eſtant enfin eſchapée malgré elle, s’il faut ainſi dire, elle revint en eſtat de pouvoir ſouffrir la converſation. Mais quoy qu’on pût pourtant faire, elle demeura avec une ſanté languiſſante : & une melancolie ſi grande, que ſon humeur n’eſtoit pas connoiſſable. Je la voyois alors comme les autres ; car elle n’oſoit pas m’en empeſcher : mais je la voyois preſques ſans plaiſir, par l’opinion que j’avois que j’eſtoit cauſe de ſon mal. Durant ce temps là, diverſes perſonnes luy parlerent en ma faveur : & la Princeſſe Cleobuline entr’autres voulut sçavoir au vray par quel mouvement elle agiſſoit aveque moy comme elle faiſoit : mais il luy fut impoſſible d’en sçavoir autre choſe, ſinon qu’elle meſme n’en sçavoit rien. Elle tomboit d’accord avec la Princeſſe, que j’eſtois d’une Maiſon qui honnoroit la ſienne par noſtre alliance : que j’avois plus de bien qu’elle n’en pouvoit eſperer : que j’avois acquis quelque eſtime dans le Monde : que meſme je la meritois : & que j’avois ſans doute pour elle une affection tres forte, puis qu’elle avoit pû reſister à tous ſes mépris. Mais apres tout cela, elle diſoit touſjours, qu’il luy eſtoit impoſſible de m’aimer jamais : qu’il y avoit quelque choſe dans ſon cœur qu’elle ne pouvoit vaincre, qui s’oppoſoit à tout ce qui pouvoit m’eſtre avantageux, & qui le deſtruisoit meſme entierement. Mais, luy diſoit la Princeſſe, n’eſt-ce point que le choix ſecret que vous avez fait d’Antigene, eſt la ſeule choſe qui deffend l’entrée de voſtre cœur à Philocles ? nullement, luy diſoit elle : & quand je n’aurois aucune complaiſance pour Antigene, & que mon cœur ſeroit abſolument libre, j’aurois touſjours la meſme averſion