Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/199

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pour Philocles. Car enfin comme je ne haïs point par raiſon, & que c’eſt un ſentiment dont moy meſme ne comprens point la cauſe, il n’y en faut point chercher. La Princeſſe qui me faiſoit l’honneur de m’aimer, voyant le caprice de Philiſte, fit ce qu’elle pût pour me deſtacher de ſon affection : mais mon ame eſtant auſſi fortement portée à l’aimer, que la ſienne l’eſtoit à me haïr, elle n’en pût venir about. J’avoüois malgré moy à la Princeſſe, qu’il y avoit à Corinthe d’auſſi belles Perſonnes que Philiſte ; d’auſſi ſpirituelles, & d’auſſi nobles : mais je luy diſois en meſme temps, qu’il n’y en avoit point que je puſſe aimer. Ainſi trouvant autant d’impoſſibilité à me la faire oublier, qu’il y en avoit à l’obliger de ne me haïr plus ; nous eſtions tous deux malheureux : & la ſeule Steſilée dans le fonds de ſon cœur, trouvoit quelque maligne ſatisfaction à noſtre infortune : prenant ſans doute quelque plaiſir à voir un homme qu’elle avoit aimé, ne l’eſtre point de ce qu’il aimoit : & à voir auſſi celle, qui ſelon mon opinion l’avoit empeſchée d’eſtre aimée, eſtre malheureuſe par ma paſſion, auſſi bien que par la ſienne. Cependant Alaſis eſtoit ſi irrité contre Philiſte, qu’il luy fit dire qu’il ne la verroit plus, qu’il n’eſt sçeu qu’elle eſtoit reſoluë de m’eſpouser, & de bien vivre aveques moy. Son frere ne luy eſtoit pas plus favorable : & tout enfin l’affligeant, & ne luy laiſſant nulle eſperance ; elle menoit une vie ſi melancolique, que l’on ne parloit plus d’autre choſe dans toute la Cour. Il eſt vray qu’elle ne ſouffroit pas ſeule, & que je partageois ſes maux d’une façon bien cruelle : quelqueſfois je me reſolvois à ne l’aimer plus, & je