mal eternel, ou qui du moins ne finira qu’avec ma vie : il ne me ſeroit pas aiſé d’avoir l’eſprit aſſez libre, pour vous pouvoir raconter exactement, la naiſſance & le progrés de ma paſſion. Joint que quand il ſeroit poſſible de trouver quelque douceur à ſe pleindre de ſemblables maux : il n’y en auroit point à ſe ſouvenir des plaiſirs paſſez & dont l’on ne peut plus jamais joüir. Diſpensez moy donc, je vous en conjure, de m’eſtendre ſur tout ce qui ne ſera point funeſte : & ne trouvez pas mauvais, que mon ame accouſtumée à ne penſer qu’à la mort, ne vous entretienne que de choſes melancoliques : & ne rempliſſe voſtre imagination, que d’Urnes, de Cendres & de Tombeaux. Je ne vous diray point par quelles raiſons le Prince de Cilicie mon frere m’envoya à Thebes : car cela eſtant inutile à vous faire connoiſtre quelle a eſté ma paſſion, il ſuffit que vous apreniez que j’y fus deux années entieres. Mais il ſera peut-eſtre à propos que vous sçachiez ſeulement, que la Princeſſe ma Mere eſtoit de la Race de Cadmus fils d’Agenor, ſi illuſtre parmi les Thebains ; afin que vous ayez moins de peine à croire, qu’un Cilicien n’ait pas eſté traité en Barbare parmi des Grecs. Je fus donc à Thebes avec un equipage digne de ma naiſſance : j’y fus reçeu avec beaucoup d’honneur : & en peu de jours je connus tout ce qu’il y avoit de Grand & de beau en ce lieu là. Celuy qui eſtoit alors Boeorarche, c’eſt à dire Capitaine General de la Boeoce, avoit un fils nommé Polimnis, à peu prés de meſme âge que moy, avec qui je fis une amitie tres particuliere : & qui me fit voir tout ce qu’il y avoit de Dames de qualité dans Thebes, parmi leſquelles j’en trouvay grand nombre d’admirablement belles. Mais dans toutes les Compagnies
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