Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/228

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haine finit, & que mon amour recommença. Je ne la conſideray plus, ni comme inconſtante, ni comme injuſte : & je ne la regarday que comme la plus belle choſe du monde : & que comme la Perſonne de toute la Terre que j’avois le plus aimée. Je voulus neantmoins faire encore quelques legers offerts, pour m’opoſer à ma douleur : mais il me fut impoſſible de la vaincre : & l’Amour revint dans mon ame avec toute la rigueur dont il eſt capable, puis qu’il y revint ſans l’eſperance. Dés que je m’imaginois que Leontine n’eſtoit plus, tout autre ſentiment s’eſloignoit de mon eſprit : & le deſespoir s’emparoit ſi fort, que je n’eſtois plus Maiſtre de mes actions. Je m’apercevois ſans m’en pouvoir empeſcher, que je marchois tantoſt viſte, tantoſt lentement ; je me taiſois en m’arreſtant : je parlois apres fort haut, quoy que je fuſſe ſeul : il y avoit des inſtans où je pleurois avec amertume & avec abondance : & il y en avoit d’autres où j’avois le cœur ſi ſerré, que je ne pouvois pleurer. Mais enfin Polimnis ayant sçeu la nouvelle de la mort de Leontine par le meſme homme qui me l’avoit apriſe ; m’eſtant venu chercher, m’ayant trouvé, me vit en un eſtat ſi déplorable, qu’il m’a dit depuis qu’il n’avoit jamais veû un plus grand changement en ſa vie, que celuy qu’il remarqua ſur ſon viſage. Quoy, me dit il en m’abordant ; le Prince Artibie pleure la mort d’une perſonne qu’il haïſſoit, & eſt plus affligé que moy, qui ay plus de raiſon de l’eſtre que luy ! Ma haine, luy dis-je en ſoupirant, eſt morte avec Leontine : & mon amour eſt reſſuscité, pour me punir de l’avoir haïe. Enfin la douleur fit un ſi prodigieux renverſement dans mon ame, que je n’avois jamais eſté plus amoureux que je l’eſtois : ni par conſequent plus