Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/243

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faut il avoüer, que rien au monde ne peut eſtre plus beau que ce Portrait : je le regarday donc avec admiration : & r’appellant les idées de tout ce que j’avois veû de belles à la promenade, je ne me ſouvins point d’y avoir veû perſonne qui reſſemblast à cette Peinture : & en effet cela eſtoit ainſi. J’ouvris & fermay cette Boiſte pluſieurs fois, ne pouvant me laſſer d’admirer une ſi belle choſe : en ſuitte j’eus quelque compaſſion de celuy qui l’avoit perduë : & il y eut auſſi quelques momens où je luy portay envie. Car enfin je m’imaginay, que ce Portrait eſtoit un Portrait donné à ce luy qui l’avoit perdu : & je l’eſtimois ſi heureux d’eſtre aimé d’une ſi belle Perſonne, que l’en eſtois preſques en chagrin. Neantmoins apres avoir bien encore des fois ouvert & fermé la Boiſte, & m’eſtre bien repreſenté quelle inquietude devoit eſtre celle de celuy qui avoit laiſſé tomber ce Portrait : je me couchay, & je dormis, quoy que ce ne fuſt pas ſans ſonger à la Peinture que j’avois trouvée. Le lendemain au matin je me levay : mais avec une ſi forte curioſité de sçavoir qui eſtoit cette belle Perſonne qui eſtoit peinte, & qui eſtoit celuy qui avoit fait une perte ſi conſiderable ; que cela ſe pouvoit preſque deſja nommer une curioſité jalouſe. Je m’habillay donc en diligence, & je fus chez Theanor, que je trouvay preſt à ſortir : il me fit alors excuſe de ce qu’il m’avoit perdu le ſoir dans la preſſe : mais ſans luy donner loiſir de continuer ſon compliment, & ſans prendre garde d’abord qu’il eſtoit fort melancolique : je luy dis que noſtre ſeparation m’avoit eſté ſi heureuſe ; que j’avois pluſtost ſujet de l’en remercier que de m’en pleindre. Car (luy dis-je, en luy baillant la Boiſte du Portrait ouverte) voyes ce que je trouvay