Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/248

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cette Peinture, eſt il amoureux d’Alcidamie ? Eſperdûment, me repliqua t’il : & ce Portrait, luy repliquay-je, luy a t’il eſté donné par cette belle Fille ? Quand vous me l’aurez rendu, me dit il, vous le sçaurez : mais juſques alors je n’ay ordre de vous rien dire. Cruel amy, luy repliquay-je, j’aime encore mieux ce Portrait que voſtre ſecret : & ſi j’ay à rendre cette Peinture, j’aime mieux auſſi que ce ſoit à la perſonne qui l’a donnée, qu’à celle qui l’a perduë. Ha Leontidas, me dit Theanor, ne faites pas ce que vous dittes, ſi vous ne voulez me deſobliger ſensiblement.

Comme nous en eſtions là, on me vint dire que Polycrate me demandoit, de ſorte que je fus contraint de quitter Theanor. Mais Dieux, que je paſſay tout le reſte du jour avec chagrin ! car enfin je ne doutois plus apres ce que Theanor m’avoit dit, que toutes mes conjectures ne fuſſent bien fondées : & que ce Portrait n’euſt eſté donné par Alcidamie, à celuy qui l’avoit perdu. Je commençois meſme de ſentir que je n’eſtois plus Maiſtre de ma raiſon ; & qu’il faloit me reſoudre d’aimer Alcidamie malgré moy. Ne ſuis-je pas bien inconſideré, diſois-je, de ne m’oppoſer pas à une paſſion naiſſante, qui apparemment ne me peut cauſer que de la douleur ? Je sçay qu’Alcidamie aime ailleurs : que veux-je donc obtenir d’elle ? Leontidas ſouffrira t’il un Rival dans le cœur de cette belle Perſonne ; ou ſera t’il aſſez fort pour l’en chaſſer ? Mais quel eſt ce Rival ? diſois-je ; Helas pourſuivois-je, je n’en sçay rien. Peut eſtre eſt-ce un homme indigne de cét honneur : peut eſtre eſt ce Theanor luy meſme : & quoy qu’il en ſoit, adjouſtois-je, c’eſt un Amant peu paſſionné, puis qu’il ne s’eſt pas fait connoiſtre par ſa mort, apres une telle perte.