certitude qu’elle en euſt aimé un tout ſeul. Car ſi la choſe euſt eſté ainſi, toute ma jalouſie n’euſt eu au moins qu’un meſme objet : au lieu que par ma jalouſe prevoyance, je ſouffrois preſques tous les maux que j’euſſe pû ſouffrir, ſi Alcidamie les euſt aimez tous enſemble, ou les uns apres les autres. De quelque coſté qu’elle ait l’ame ſensible, diſois-je, j’ay grand ſujet de craindre que quelqu’un de ces trois redoutables Rivaux ne touche ſon cœur : Theanor eſt un fort honneſte homme, ſage, complaiſant, diſcret, & capable par ſon eſprit de faire toutes les choſes que l’amour la plus paſſionnée peut inſpirer : mais de les faire ſans eſclat, & de me deſtruire ſans que preſques je n’en aperçoive. De ſorte que ſi Alcidamie ſe plaiſt à eſtre aimée de cette maniere, j’ay ſujet de tout apprehender de ce coſté là. Au contraire, pourſuivois-je, ſi elle aime le bruit, la valeur, & la liberalité, Timeſias eſt un enjoüé, un brave, & un magnifique, qui touchera ſon inclination aiſément. Mais ô Dieux, adjouſtois-je, ſi elle eſt ambitieuſe, que ne trouvera t’elle point en Polycrate ? Si ſon ame aime la gloire, il en eſt tout couvert : ſi elle aime les richeſſes, comme il eſt le Roy de la Mer, il peut luy en acquerir de nouvelles, ſi les ſiennes ne ſuffisent pas à la contenter : & repaſſant alors en mon eſprit toutes les bonnes qualitez de Polycrate, je ſouffrois des maux qui ne ſont pas imaginables. Principalement quand je venois à ſonger au prodigieux bonheur de ce Prince, qui ne l’avoit jamais abandonné, quoy qu’il euſt pû entreprendre : Non non, diſois-je, nous n’avons qu’à nous informer ſeulement ſi Polycrate aime Alcidamie : car ſi cela eſt, il en eſt aimé, ou le ſera ſans doute bientoſt, veû qu’elle eſt ſa
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