bonne fortune. Apres, quand je venois à penſer, que de ſes trois Rivaux, il n’y avoit que Timeſias, contre lequel je peuſſe teſmoigner tout mon reſſentiment : & que des deux autres, l’un eſtoit mon Amy, & l’autre mon Maiſtre, je perdois preſques la raiſon : de ſorte que je paſſay la nuit avec beaucoup d’inquietude. Neantmoins je n’avois pas abſolument determiné en mon eſprit, que Polycrate fuſt amoureux d’Alcidamie : ce n’eſt pas que je ne ſois contraint d’avoüer, que du ſimple ſoubçon dans mes jalouſies, je ne paſſe aiſément à la croyance de la choſe que je ſoubçonne : car je commence d’ordinaire à craindre ; puis à ſoubçonner ; & peu de temps apres à croire que ce que j’ay craint, & que ce que j’ay ſoubçonné, eſt effectivement arrivé, ou qu’au moins il arrivera bien toſt. Ayant donc paſſé une nuit tres faucheuſe, je vy entrer Theanor le matin dans ma Chambre : qui s’eſtant reſolu de ne me dire jamais la verité, & de taſcher touſjours de me guerir de la paſſion que j’avois pour Alcidamie ; me vint dire qu’il eſtoit bien aiſe de l’avantage que j’avois remporté le jour auparavant ſur mon Ennemy : mais qu’il eſtoit bien faſché de ce qu’il remarquoit que je m’attachois touſjours de plus en plus, à aimer Alcidamie. Que s’il luy euſt eſté permis de me dire les veritables raiſons qui m’en devoient empeſcher, il eſtoit aſſuré que je n’y penſerois plus. La plus forte de toutes, luy dis-je tout hors de moy, eſt que j’entendis hier dire au Prince Polycrate, que vous en eſtes amoureux, auſſi bien que Timeſias : Mais Theanor, je n’y sçaurois plus que faire ; il faut malgré moy, que je ſois voſtre Rival : & puis qu’il eſt bien permis à Timeſias d’aimer Alcidamie, il me ſemble que
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