Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/298

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que toutes les autres perſonnes de ſa condition ne fiſſent : mais je penſois qu’elle devoit avoir pitié de ma foibleſſe ; donner quelque choſe à mon capricé ; & ſe contraindre un peu davantage. Cependant cette inhumaine Fille vint à me regarder comme ſon perſecutur : & à me traitter ſi cruellement, que je sçeus qu’elle avoit raillé de mes ſoubçons & de mes ſoins avec Polycrate, & meſme avec Hiparche : ce qui renouvella toutes mes jalouſies juſques à celle du Prince. De ſorte que l’eſprit tout aigri, je fus la viſiter un jour que je la trouvay ſeule : Neantmoins quand j’eſtois aupres d’elle, la moitié de ma feureur me quittoit : & je luy parlois preſques touſjours avec beaucoup de reſpect. Cette converſation commença donc d’abord par des choſes indifferentes, quoy que ce ne fuſt pas ma couſtume de l’en entretenir quand j’eſtois ſeul avec elle : mais ne sçachant pas où commencer à me pleindre, de crainte de l’irriter trop ; je gagnois temps en parlant quelqueſfois hors de propos, dont Alcidamie ne pût s’empeſcher de rire. Comme je le remarquay, j’en rougis de colere : & ne pouvant plus cacher mes ſentimens, vous devriez, luy dis-je, Madame, m’eſtre bien obligée, de vous donner ſi ſouvent matiere de divertir le Prince Polycrate, & de railler avec Hiparche. Ces deux Perſonnes ſont ſi differentes, dit elle, que j’ay peine à croire qu’une meſme choſe les puiſſe divertir également : & j’ay bien plus de peine, luy dis-je, à comprendre, comment ils peuvent eſtre tous deux dans un meſme cœur. Ils y peuvent eſtre, reſpondit elle fierement, & meſme avec beaucoup d’autres encore : car enfin Leontidas, il y a quelqueſfois dans un meſme cœur, de l’amour, de la haine, du mépris, de l’amitié de l’indifference, & de l’averſion. Je le sçay