Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien, luy dis-je, & je sçay auſſi quelle part je dois pretendre à toutes ces choſes : Comme vous n’ignorez pas ſans doute (reprit elle avec un ſon de voix malicieux) le prix des ſervices que vous rendez, il vous eſt aiſé de le deviner. Je le devine bien mieux, repliquay-je, par le caprice d’autruy que par moy meſme : & vous le devineriez encore plus preciſément, repliqua t’elle par voſtre propre caprice, que par nulle autre choſe, s’il eſtoit poſſible que vous le puſſiez connoiſtre. Appellez vous caprice, luy dis-je, Madame, de vous adorer ſeule en tout l’Univers ? de ne regarder que vous ; & de ne ſouhaiter rien que d’en eſtre aimé ? Je sçay bien, dit elle, que ne regardez que moy : & peut eſtre ſi vous me regardiez un peu moins, en ſeriez vous regardé plus favorablement. Quoy Madame, repliquay-je, vous croyez qu’il ſoit poſſible d’aimer parfaitement, & de ne chercher pas autant que l’on peut la veuë de la Perſonne aimée ? Je croy dit elle, que pour ſe faire aimer il faut plaire : & non pas s’occuper touſjours à deſtruire tous plaiſirs de la Perſonne que l’on aime. Mais ſi la Perſonne que l’on aime, aimoit, reſpondis-je, elle ne trouveroit point de plaiſir à perſecuter celuy qu’elle auroit jugé digne de ſon affection : & elle en trouveroit beaucoup, à avoir pitié de ſa foibleſſe, & à la vouloir guerir. Pour moy, dit elle, je ne ſuis pas ſi bonne : car je ne sçaurois avoir compaſſion des maux que l’on ſe fait ſoy meſme volontairement. Ha Madame, luy dis-je, que vous connoiſſez peu celuy dont vous voulez parler ſi vous croyez qu’il ſoit volontaire : Non non, ne vous y trompez pas s’il vous plaiſt : la jalouſie eſt une paſſion tirannique auſſi bien que