Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/301

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me dit elle, ne vous haſtez pas Leontidas : je ne vous dis pas cela pour vous ſatisfaire, mais pour me ſatisfaire moy meſme : C’eſt donc pour ma propre gloire, adjouſta t’elle, que je vous aſſeure que toutes les perſonnes que vous m’avez nommées, n’ont nulle place particuliere dans mon cœur : mais c’eſt pour voſtre repos, que je veux vous dire par bonté toute pure, afin que vous ne ſoyez pas abuſé, que vous n’y en aurez jamais non plus qu’eux. Quoy Madame, luy dis-je, vous n’aimerez jamais Leontidas ? non pas du moins, repliqua t’elle, tant qu’il ſera jaloux : & comme je ne penſe pas qu’il puiſſe jamais ceſſer de l’eſtre, je ne penſe pas auſſi pouvoir jamais avoir nulle effection particuliere pour luy. Mais ſongez, luy dis-je, cruelle Perſonne, que cette jalouſie n’eſt qu’un effet d’amour : ſi vous m’aimiez donc un peu moins, repartit elle, je vous aimerois davantage. Car enfin Leontidas, adjouſta t’elle encore, je vous declare que j’aimerois incomparablement mieux eſpouser un homme qui me haïroit, qu’un autre qui m’aimeroit avec jalouſie : C’eſt pourquoy ne vous obſtinez pas plus longtemps à me ſervir, puis que ce ſeroit inutilement. Mais, luy dis-je, ſi vous m’aviez aſſuré que je ſerois choiſi par vous, pour eſtre ce bien heureux dont vous parlez, ma jalouſie ceſſeroit : nullement, dit elle, & je n’ay garde de m’expoſer à un ſemblable peril. Il eſt pluſieurs Amants qui ne ſont point du tout jaloux, qui le deviennent quand ils ſont Maris : Mais je ne penſe pas que ceux qui le ſont, quand ils n’ont encore aucun droit à la Perſonne qu’ils aiment, ceſſent de l’eſtre quand ils l’eſpousent. Ainſi Leontidas, vous avez mis un obſtacle invicible à vos pretenſions pour moy, & quelque eſtime que je puiſſe avoir pour vous, je vous la